Ils se rassemblaient la nuit lorsque les feux étaient éteints et que les bons Chrétiens avaient rejoint, à l’intérieur des chaumières, le repos ordinaire qui intervient à chaque tombée de nuit. Ils se rassemblaient alors qu’ils n’en avaient pas le droit, car leurs pratiques étaient considérées comme licencieuses et parfaitement amorales par une Église chrétienne qui ne tolérait pas qu’on agisse ainsi, à rebours de ce qui était dogmatiquement enseigné. Des gens se regroupaient et on les appelait sorciers ou sorcières, beaucoup de fantasmes sont nés au fil des siècles sur ce qui se déroulait vraiment lors de ces cérémonies jugées païennes et proprement scandaleuses.
Sorcières d’hier, sorcières d’aujourd’hui
C’est au Moyen Âge qu’on en parle le plus, et que l’on juge ces assemblées nocturnes pleines de sorciers, mais surtout de sorcières, où les âmes se livreraient à des échanges corporels interminables et interdits, chevaucheraient des animaux curieux (ou des balais, bien sûr, puisque l’on parle de sorcières), s’enduiraient le corps avec des liquides récoltées à l’intérieur des corps d’enfants kidnappés… Le fantasme, on l’a dit, allait très loin.
« Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler. » disent aujourd’hui en 2021 des slogans féministes qui ont trouvé écho à leurs luttes dans l’image ancestrale de la sorcière, victimisée car jugée trop libre par des institutions et des lambdas soucieux d’ôter la liberté aux autres afin de ne pas trop souffrir de son propre enfermement à soi.
Wendy Martinez, Amy Winterbotham et Marie-Louise Bourgeois en font dignement partie, de ces sorcières modernes qui assument le terme et le revendiquent même, elles qui ont donc nommé ce second album de Gloria (le premier, In Excelsis Stereo, sortait en 2016) en référence à ces cérémonies séculaires où l’on hurlait l’idée de liberté au sein d’époques où on en disposait de bien peu.
Cool sabbat
Des sorcières et quelques sorciers aussi, dont le guitariste producteur Alexis Morel Journel (aka Kid Victrola) à la confection de ce son psychédélique et garage pop (sixties !), et une autre à l’image : Gloria a ressorti des limbes le travail de Nicole Claveloux, figure méconnue de l’imagerie underground des sixties qui avait alors largement mis son travail au service d’ouvrages destinés à la jeunesse. Cette image, finalement utilisée comme pochette de l’album Sabbat Matters, est une image « d’origine », dans le sens où elle fut conçue il y a bien longtemps, lorsque l’on ne parlait pas encore des sixties comme de la décennie vénérée par quelques descendants très sensibles aux images d’Épinal hippies, mais où l’on en constituait encore directement la chair, de cette époque. À Kid Victrola la parole :
Madeleine de Proust
« L’idée de centrer la pochette et le titre sur la thématique des sorcières est née avant même d’enregistrer l’album. Je connaissais les dessins de Nicole Claveloux depuis mon enfance, car elle a été omniprésente dans l’illustration jeunesse en France depuis les années 70-80. En tant que petit lecteur d’Okapi, son nom et ses dessins m’avaient marqué, notamment avec ses personnages de Grabotte ou Cactus Acide et Beurre Fondu (avis à la populace : Cactus Acide, pur nom pour un groupe de Stoner !).
Bien des années plus tard, travaillant au rayon jeunesse de la bibliothèque municipale de Rillieux-La-Pape, je me suis intéressé au graphisme des livres pour enfant des années 70. Notamment à travers les éditions américaines Harlin Quist, ou bien la production d’Europe de l’est de cette époque qui était largement influencée par le graphisme psychédélique.
Tout cela a bien été documenté par la suite à travers l’expo Le 68 des enfants. À ce moment-là je suis retombé sur Nicole Claveloux et ses ouvrages Alala et Alice au pays des merveilles. Spécialement avec Alala, la proximité de son dessin avec le graphisme londonien des sixties, façon Yellow Submarine, m’a enchanté. Cela produit en moi une émotion particulière : cette illustratrice dont le nom étrange m’avait marqué dès la petite enfance, comme quelque chose d’un peu magique, se révélait être une pionnière du dessin psychédélique en France, sujet qui me passionnait en tant qu’adulte…
Poétique, rusé et vaguement inquiétant. Une sorte d’intelligence du dessin…
Kid Victrola à propos de Nicole Claveloux
J’ai donc découvert le reste de son travail, peintures (ndlr : qu’elle pratique exclusivement aujourd’hui), travaux érotiques, surréalistes, une myriade de styles différents, et toujours un « esprit », pas facile à définir… poétique, rusé et vaguement inquiétant. Une sorte d’intelligence du dessin…
Bref, quand est venu le moment de penser à une pochette pour ce projet de Sabbat Matters, je l’ai tout simplement contactée à travers son site web avec une idée en tête : serait-elle prête à reprendre ses crayons pour recréer une pochette de disque façon seventies ? Elle en avait déjà faites quelques-unes par le passé.
Avec comme idée soit une libre interprétation du titre, soit un dessin de farandole vaguement médiévale, composée d’êtres étranges se rendant au sabbat. Je n’ai pas eu ce que je voulais, mais ce qui s’est passé est autrement magique : s’adonnant dorénavant exclusivement à la peinture, et dans un style différent, elle et son compagnon m’ont proposé de découvrir quelques-unes de ses archives inédites datant des années 70. Donc plutôt que de lui demander de reprendre un style qu’elle avait pratiqué il y a 50 ans, j’ai eu accès au trip originel.
Et ce dessin de bouddha/sphinx androgyne fumant une cigarette fleurie, surplombant un paysage végétal psychédélique ; et ce petit coït subliminal de papillon en contre-bas apparu comme une évidence. Cela n’illustre pas directement le titre, à chacun de faire le lien, mais justement ce hasard fait naître une collision très poétique, selon moi. Et puis graphiquement cela me rappelait ces pochettes américaines psychédéliques à la Miles Davis 70, avec un je-ne-sais quoi de français par-dessus.
L’illustration du dos de la pochette, avec ce monde jaillissant d’un verre en forme d’explosion végétale psychédélique et son petit lac paradisiaque me convenait aussi, avec cette idée de créer chacun son petit Sabbat, son petit monde idéal. Et enfin l’illustration du label, avec le petit orchestre psyché pur Claveloux LSD : parfait également !
Thomas Acromath, bassiste du groupe et graphiste, a réalisé le lettrage de la pochette avant. Validé par Nicole avec un conseil : mettez-le en gros ! Il faut qu’on voie bien le titre !
Les sixties en 2020
Pour un groupe comme nous, recherchant sans cesse cette « vibe » sixties dans le son, le fait de pouvoir avoir accès a un dessin pareil, un vrai truc de l’époque, avec tout ce que ça charrie de ce temps-là, probablement non-reproductible à l’identique de nos jours, ça a vraiment été un cadeau !
Le fait qu’elle accepte tout de suite et soit très sympathique m’a aussi conforté dans le fait de suivre mon instinct même si les idées sont saugrenues et puis qu’à travers la musique ou le dessin, quelque chose « passe »… je veux dire : j’ai bien fait d’aller toquer à sa porte, je le sentais depuis le début…
Et grande fut la fierté de pouvoir associer notre nom à celui d’une illustratrice française indépendante et pionnière, native de Saint-Étienne de surcroit (un peu de chauvinisme !).
Présente depuis l’enfance, sortant de son chapeau une pochette magique ? Vous avez dit sorcellerie ? Merci Nicole ! »
Gloria, Sabbat Matters, 2021, Howlin Banana Records, artwork par Nicole Claveloux (illustration) et Thomas Acromath (lettrage).
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